La concubine rouge - Baloup / Jiro

Déjà auteurs de l’étonnant Diables sucrés (Gallimard), Clément Baloup et Mathieu Jiro s’attaquent avec La concubine rouge à un pan compliqué de l’histoire coloniale française : l’Indochine. La superbe couverture, tout en rouges et ocres, ne laisse pas vraiment présager l’horreur que l’on va retrouver dans le corps de l’album : une belle métaphore du passé colonial.

Alors que la guerre d’Indochine bat son plein, un jeune capitaine de l’armée française, Olivier Bertaux, se voit affecté dans un fort isolé de la jungle vietnamienne. Dès son arrivée, il doit se familiariser avec cette vie en autarcie, les attaques nocturnes et le zèle de certains officiers.

Cet ancien FTP (Francs-tireurs et partisans) se retrouve vite dans un dilemme moral : ne vient-il pas défendre ici un modèle qu’il a combattu quelques années auparavant ? Une fièvre s’empare de lui et ne le quittera plus. Elle augmentera même avec cette concubine rouge qu’il choisira pour lui éviter la torture.

Tout est affaire de contraste dans ce récit. Derrière les évidences d’une guerre, deux camps s’opposant, nécessité de la survie, se cachent des sentiments plus complexes : la cause est-elle légitime ? Jusqu’où peut-on aller ? L’autre est-il réellement un ennemi et un danger ? Tout au long de l’album, Clément Baloup joue sur ces questionnements avec finesse et intelligence, et met en lumière les absurdités de la position française, résurgence d’une grandeur impériale perdue.

Ce jeune capitaine, c’est en quelque sorte l’image de la France qui hésite, qui doute, qui se rend bien compte qu’elle fait fausse route, mais qui immanquablement réitère ses erreurs. Car s’il est persuadé qu’il refusera d’assassiner, de torturer, il choisit de faire d’une prisonnière sa concubine, marquant inévitablement une autre forme de pouvoir sur elle. 

Mathieu Jiro joue lui aussi sur les contrastes dans son dessin, avec de grands aplats de couleurs et des visages qui paraissent souvent figés sans pour autant être inexpressifs. Son dessin possède un charme indéniable qui n’est pas sans rappeler le Douanier Rousseau et cette forme si particulière d’exotisme.

La concubine rouge est un récit savamment écrit, subtil et au style graphique très marqué. Clément Baloup sait mettre en exergue un grand nombre d’interrogations sans jamais être dogmatique ni moralisateur. Le dessin de Mathieu Jiro suit la même voie, nous laissant deviner sous l’apparente fixité des regards les sentiments qui animent les personnages. Vraiment un très bel album !




Scénario : Clément Baloup - Dessins : Mathieu Jiro
Editeur : Gallimard - Collection Bayou -  Récit complet.




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