Comics : qu'est-ce qu'un "What if…" ?

Connu de tous les fans de comics, le "What if…" ("Et si…" en français) est un exercice assez sympathique auquel se sont prêtés de nombreux auteurs.

Certaines histoires partant de ce principe d'uchronies ont même fait l'objet de mini-séries comme l'excellent
Bullet Points, Marvel 1602 ou encore la nouvelle collection "Noir".

A l'occasion de la récente sortie en kiosque du Marvel Saga spécial "What If…" J'ai invité mon ami El Loko à venir partager avec nous ses connaissances encyclopédiques sur le sujet.

Je vous laisse en sa compagnie.



- Qu'est-ce qu'un "What if…" ?

Très proche du concept de l’univers parallèle ou du futur alternatif à partir duquel on peut développer d’importantes intrigues et séries, comme DC l’a fait avec son multiverse et ses crises, ou pour "La Maison aux Idées" avec l’Age d’Apocalypse et plus récemment House of M/Civil War (où les mutants sont l’espèce dominante sur la Terre) le "What if..." se veut un récit court et concis avec un schéma très simple :


-Un événement ou un choix important dans la vie du personnage,
-Une alternative possible c’est le fameux "Et si…",
-Les conséquences rarement positives et plus souvent négatives que tout cela engendre.

Ce fameux "Et si…", après avoir fait l’objet d’une série régulière chez Marvel vers la fin des années 70 aux U.S.A., (début des années 80 chez nous) puis avoir fait l’objet depuis 1988 d’épisodes ponctuels aux Etats-Unis, revient en V.F. sur le devant de la scène avec le Marvel Saga N°5 spécial "What if…".

Pour ma part, je dois avouer que même si le concept est simpliste et vendeur, il ne me lasse pas et c’est avec plaisir que j’ai dévoré le Saga tout en me replongeant dans certains épisodes plus anciens pour comparer. J’ai alors réalisé que certains éléments étaient toujours présents pour faire vibrer mes cordes sensibles de "comicophile"

- La série originelle

Le schéma présent dans la série originelle, imaginée par Roy Thomas, bien que répétitif, rappelait les séries télé comme "La quatrième dimension"; ainsi le rôle de la voix Off était tenu par Uatu le Gardien (the Watcher en V.O.), personnage passif et observateur, qui apparaissait à chaque épisode pour nous guider en introduisant l’histoire et surtout en la concluant toujours de manière très solennelle.

On peut aussi signaler qu'aussi bien des maîtres du comics des années 70 comme Jack Kirby, John Byrne et Jim Shooter, que des "petits jeunes" qu’étaient Frank Miller, Tom de Falco, Mike Esposito, Marc Silvestri ou Dave Simmons (entre autres), tous ont participé à l’aventure "What if…".

Alors passage obligé ? Rite initiatique ? Bizutage Marvel ? Bizarre, non ?


- Le bon choix

Le choix des personnages est très important. Au plus ils sont connus, au plus l’impact du changement sera marquant.

Dans le cas du héros solitaire comme Spidey qui a vu sa fiancée Gwen Stacy et son oncle Ben restés en vie ou ses pouvoirs être attribués à d’autres dans l’ancienne série, il a toujours été essentiel de maintenir une certaine dose de malheur autour de Peter Parker même avec des alternatives plus heureuses.

Ce mal-être du héros est très largement présent dans le fantastique "Et si Jean Grey alias le Phénix n’était pas morte…" qui est mon volume favori de la série originelle (mais aussi un des rares, voir le seul, " Et si…" consacré aux X-Men). En effet ce n’est plus un seul personnage que l’on touche dans le malheur mais un groupe : la non-mort de Strange Girl entraîne tous les membres de l’équipe dans une spirale de souffrances et de désastres jusqu’au final où l’univers entier est détruit.

Pour d’autres groupes comme les 4 Fantastiques que l’on a imaginés avec des pouvoirs différents et même sans pouvoir, qui ont vu la Chose continuer de muter, la femme invisible épouser Namor et même mourir en couches ou les Vengeurs qui ont été déplacés dans les années 50, qui n’ont jamais existé, qui sont devenus les derniers super-héros sur Terre ou vécu le décès de Hank Pym, alias Pourpoint Jaune, tous ces récits différents ont bien souvent une seule conclusion : Le groupe créé le héros, pouvoirs ou pas, façonne son identité et conditionne son comportement.

- L’importance du décalage

La mise en place d’un décalage temporel, d’un décalage de pouvoir ou autre est aussi une des trames récurrentes du schéma des "What if…".

Ainsi, déplacer un héros ou vilain de son contexte habituel pour voir son évolution probable suscite un maximum d’intérêt pour le lecteur.

Imaginer une dimension MarvelSpiderwoman, Ghost Rider et Captain Marvel sont des super-vilains, que le marteau de Thor ait été trouvé par Loki ou une femme (en l’occurrence à l’époque, Jane Foster, sa fiancée), que ce même Thor ait affronté Odin par amour pour cette femme, que Dazzler soit le héraut de Galactus, qu’Iron Man règne à l’époque du Roi Arthur, que Conan le Barbare vive au 20ème siècle ou que le Docteur Fatalis soit un héros, il faut avouer que ces décalages quasi improbables dans notre vision de la Terre 616, la Terre du monde Marvel, suscitent un énorme intérêt et une certaine curiosité pour le passionné.

- La soupape humoristique

Une autre facette des "Et si…" est l’humour, souvent introduit comme des clins d’œil aux artistes créateurs des personnages, mais aussi distillé par les plus grands (comme Jack Kirby).

En France, le Strange N°200 avait réuni tous les épisodes humoristiques de la série : parmi les meilleurs, "Et si Hulk était jaune ou si ses pantalons ne s’étiraient pas lors de sa transformation…", "Et si Flèche Noire était une Rock star ou une vedette de show télé…", "Et si l’Araignée avait épousé la Veuve noire… ", "Et si Daredevil avait été sourd et non aveugle… ", " Et si Tony Stark avait eu un problème avec la nourriture et non l’alcool…", "Et si Fatalis avait eu le sens de l’humour…", "Et si un homme radioactif avait mordu une araignée..." etc.

Cette vague représente un peu une soupape pour la création des ces auteurs soumis à des cadres très stricts de la part des éditeurs et donc un vrai moment de délire pour eux, de plaisir pour nous.

- Des What if devenus vrais

Après une semaine de relecture de mes archives, je m'aperçois que depuis l’époque où j’achetais en kiosque mes Strange, Spécial Strange, Titans, Nova et Spidey (où était publié la série "Et si…" avec comme sous-titre "une série unique en son genre") , certaines de ces histoires sont devenues des réalités légitimes dans l’univers Marvel.

Ainsi les "Et si le clone de Spider-man avait survécu...", "Et si le monde savait que Daredevil est aveugle…" ou "Et si Hulk avait le cerveau de Banner…" n'ont plus lieu d’être dans la continuité Marvel actuelle.

- Le marvel Saga special What if

A la lecture de ce Marvel Saga, on se rend vite compte que, même si ce schéma très convenu a été abandonné par les "What if … " plus récents, il subsiste néanmoins des clins d’œil au Gardien (j’adore notamment la dernière vignette de "Fallen Son") et on regrette presque lorsqu’il est absent des épisodes. En effet, Uatu, puni pour avoir lui-même modifié son univers en éliminant un autre Gardien dans un épisode des 4 Fantastiques, a disparu de l’univers Marvel.

Dans l’épisode Back in Black, on voit Peter Parker poussé à la limite de la folie pour voir sa réaction (très violente cela dit en passant). Ce genre de récit provoque un certain malaise à la lecture, renouvelé à l’attaque de "Et si Iron Man était mort à la fin de Civil War …" ("Fallen Son" V.O.)

On voit ici toute l’importance du choix des héros tels que Spidey ou Tête de fer alors que l’aspect essentiel du groupe peut se retrouver dans le "Et si Wanda avait dit qu’il n’y ait plus de pouvoirs".

Au niveau du décalage d’un personnage, je dois avouer avoir eu un faible pour le "Et si Fatalis avait gardé le pouvoir du Beyonder…" ou pour faire plus simple qu’elle serait la raison qui pousserait Fatalis à devenir Dieu, la conclusion étant assez touchante.

J’ai même trouvé de quoi sourire avec le personnage de Wolverine dans le "Et si les nouveaux Fantastiques étaient restés ensemble…" .

- Conclusion

On ne change pas une recette qui marche depuis 30 ans : on conserve les ingrédients de base (choix du héros, décalage, humour, conséquences dramatiques…), on parsème d’épices de modernité (plus de fluidité dans le récit, pas de plan éditorial à suivre, des aspects plus sombres pour les héros pouvant dorénavant être écrits et acceptés par le lecteur…), et le même plaisir est là, à la lecture de ce Spécial What If.

Je garde néanmoins un petit choix de cœur pour l’issue des X-Men lors du "Et si Jean Grey alias le Phénix n’était pas morte… ", même si le "Et si Fatalis avait gardé le pouvoir du Beyonder… " m’a interpellé.

Comme quoi il y a encore des "Et si..." que je n’avais pas imaginé.

D’ailleurs, en parlant d’imaginer et pour en conclure sur l’uchronie chez Marvel (terme scientifique pour le What if, source d’inspiration intarissable pour les scénaristes de comics), un petit mot sur une série exceptionnelle qui s’en rapproche énormément et qui m’avait régalé il y a 8 ans, une série intitulée "Just imagine…" où le Maître Stan Lee se ré-appropriait les origines des personnages vedettes de DC.

Mais comme le disait si bien Uatu le Gardien : "Ceci est une autre histoire…"


El Loko vous salue bien










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