Les pieds bandés - Li Kunwu
On a connu Li Kunwu sur le tard, grâce à sa collaboration avec son ami Philippe Ôtié pour Une vie chinoise, récit autobiographique retraçant l’histoire moderne de la Chine. La série, maintes fois récompensée, est disponible aux éditions Kana. C’est chez le même éditeur qu’a paru Les pieds bandés, où l’auteur revisite une nouvelle fois un aspect historique de son pays à travers sa propre histoire.
Chunxiu n’est encore qu’une enfant lorsque sa mère lui fait bander les pieds. 6-7 ans, tout au plus.
L’opération, extrêmement douloureuse, était une étape nécessaire dans la Chine impériale pour espérer un bon mariage. L’objectif de cette opération était que le pied ne dépasse pas les 7,5 centimètres, taille idéale qui était appelée « lotus d’or ».
L’opération, extrêmement douloureuse, était une étape nécessaire dans la Chine impériale pour espérer un bon mariage. L’objectif de cette opération était que le pied ne dépasse pas les 7,5 centimètres, taille idéale qui était appelée « lotus d’or ».
La méthode est violente : après avoir baigné les pieds dans du sang frais afin de les rendre plus souples, on rabat les orteils contre la plante du pied et l’on courbe au maximum la voûte plantaire. Le pied est ainsi enfermé dans des bandages serrés. Cette tradition, subie de plein fouet par la jeune Chunxiu, est censée faire d’elle une femme du monde, courtisée par tous. Mais la révolution et l’instauration de la première république vont tout changer.
On est sans cesse partagé entre la curiosité et le dégoût dans ce récit bouleversant : curiosité pour une exception culturelle dont on peine à comprendre l’intérêt et les enjeux, et dégoût pour l’acte en lui-même, d’une rare barbarie. Difficile en effet d’y voir autre chose qu’un avilissement de la femme, que sa réification. Li Kunwu nous montre de façon quasi documentaire l’opération et les souffrances qu’elle engendre. Il sait nous montrer également les nombreux présents et la place de choix qu’occupera Chunxiu durant cette fin de dynastie, jusqu’à la révolution.
Car à travers le destin tragique de celle qui fut sa nourrice, Li Kunwu semble nous montrer que pour qui a traversé le XXe siècle en Chine, il n’y eu que peu de répit. Les jeunes filles n’avaient déjà pas choisi leurs pieds bandés, elles durent subir en plus l’humiliation d’enlever leurs bandages dès l’instauration de la République. Cette complexité historique, cette permanente oscillation entre progrès et tyrannie, l’auteur la laisse transparaître dans ces visages déformés, tordus, qui cachent à chaque instant une douleur contenue.
Les pieds bandés est un très beau témoignage, complexe et touchant, de Li Kunwu en hommage à sa défunte nounou. Celle qui lui racontait les légendes d’antan, les « vieilleries féodales » honnies par le régime. Il l’exprime très humblement en préface de l’ouvrage : « J’ai aujourd’hui quasiment le même âge que Mme Chunxiu alors. J’en ressens davantage de manque et de gratitude ».
Scénario et dessin : Li Kunwu - Editeur : Kana - Collection Made In - Récit complet.
© by LI KUN WU / LI Kunwu / LIKUN Wu /
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