Loin des yeux - Luke Pearson

Révélé par sa série jeunesse Hilda, dont le troisième tome « La parade des oiseaux » faisait partie de la sélection jeunesse du dernier festival d’Angoulême, Luke Pearson s’attaque avec Loin des yeux à un registre plus adulte et dramatique. On y retrouve ce goût prononcé pour l’étrange rencontré chez Hilda et une mélancolie qui n’est pas sans rappeler Automne de Jon McNaught (déjà chez Nobrow).

L’histoire démarre sur un homme seul dans sa voiture, en pleurs. Perdu dans ses pensées, il ne voit rien de ce qui l’entoure. Il se remémore chaque instant de cette relation ratée, inexplicablement ratée.


Tout allait pour le mieux dans les premiers temps, jusqu’à ce que s’instillent un doute, une multitude de petits détails d’abord insignifiants, puis de plus en plus pesants. Dans cette relation et comment elle va finir, tout est histoire de non-dits, de petits riens incroyablement destructeurs. Ce que vit cet homme, c’est aussi à son échelle ce que vit chacun : une inattention aux signes qui peuplent le réel.

Partant d’une histoire banale, celle d’une relation amoureuse en déliquescence, Luke Pearson réécrit une cosmogonie, mêlant dans notre univers le réel et l’inexpressible, peuplant le monde d’une infinité de signes. Les mauvais sentiments naissent d’une ombre qui vient momentanément s’emparer de nous, les morts quittent leur corps pour s’adonner, drapés, à une étrange parade, chaque instant de vie est épié par des scrutateurs, drôles d’arthropodes sortis tout droit du Dévonien.
 

Luke Pearson réussit ainsi à raconter, à travers le destin de son personnage, une sorte d’universalité du malheur et des regrets. Sa narration, poétique, doit probablement emprunter beaucoup à la psychanalyse. Les dessins et leur colorisation  (orange et noire) sont tout simplement superbes ; ils rappellent, par instant, ce que peut faire David B. dans certaines œuvres comme La lecture des ruines.

Loin des yeux est un magnifique récit, d’une concision et d’une inventivité rares. On peut bien sûr beaucoup discuter du sens de ces nombreuses incursions poétiques, y chercher une signification ; on peut aussi tout simplement se laisser porter. Luke Pearson s’affirme déjà comme un auteur à suivre de près, du haut de ses 25 ans. Il suffit d’aller jeter un œil à son site et à ses albums pour s’en convaincre.



Scénario & Dessins : Luke Pearson - Editeur : Nobrow - Récit complet.  


 


Vous avez aimé cette chronique ? Pensez à vous inscrire à la newsletter et/ou au flux RSS pour être informé des prochaines publications.