Body World - Dash Shaw
2060. Le professeur Paulie Panther débarque dans la petite bourgade de Boney Borough suite à une annonce du complexe éducatif local. Botaniste énigmatique, il a repris la rédaction d’une encyclopédie sur les effets hallucinogènes de la flore nord-américaine ; en clair, il passe son temps à fumer tout végétal qu’il croise et en annote minutieusement les conséquences psychotropes.
Au cours d’une balade avec la troublante Jem Jewel, professeur de sciences au lycée, il tombe sur une fleur inconnue, entre monnaie du pape et plume de paon. Va alors débuter une expérience sensorielle aux contours troubles, à la limite du paranormal.
La consommation de cette plante lui permet en effet de « lire » une personne proche, de ressentir à la fois ses sensations et ses pensées, de partager ses souvenirs. La communauté locale n’en sortira pas indemne…
Body World est un objet hors norme. 400 pages reliées à la verticale (pour respecter le sens de lecture sur écran de la prépuplication en ligne ?), une couverture flashy, des fils narratifs multiples, des plans de ville, de bâtiments, etc. L’œuvre attire, intrigue par son allure psychédélique et ses délires visuels. Mais si Dash Shaw fascine, c’est surtout par l’extraordinaire cohérence de son récit.
A la croisée de Chris Ware, dont il adopte la minutie, et du gonzo d’Hunter S. Thompson, Dash Shaw s’approprie la campus novel en y injectant une bonne dose de LSD. Ainsi, si l’action est censée se dérouler en 2060, on peut clairement la situer un siècle plus tôt, tant les thèmes développés (expérimentations, introspection, refus des standards) sont proches de la beat generation.
Sous des dehors foutraques, visions hallucinées, bad trips et propos crus, Body World se distingue par son sens narratif, dans lequel le dessin tient une place prépondérante. Dash Shaw réussit la prouesse (parce que de nos jours cela peut être considéré comme une prouesse) de s’affranchir des codes cinématographiques, cadrages et découpages standardisés qui pullulent et tendent à uniformiser la production.
Dans une œuvre foisonnante et délirante, Dash Shaw redonne ses lettres de noblesse à la bande dessinée, expérimentant les possibilités narratives comme Paulie Panther ses nouvelles drogues. On avait oublié que la BD pouvait être si riche, si stimulante, si initiatique. Il ne vous en coûtera que 29€, Dash Shaw est un dealer honnête et un candidat sérieux pour Angoulême.
Scénario & Dessins : Dash Shaw - Editeur : Dargaud - One Shot.
Vous avez aimé cette chronique ? Pensez à vous inscrire à la newsletter et/ou au flux RSS pour être informé des prochaines publications.