Ikigami - Motorô Mase - Réflexions sur la série
Au départ je voulais faire une brève chronique du tome 7 de Ikigami sorti début juillet. En fait à la place de chronique, je vais exposer ici certains points de la série, qui méritent qu'on s'y attarde. Vous y trouverez quelques éléments sur ce septième tome, mais aussi et surtout sur le concept général.
C'est David D. de iddbd qui a déclenché cette réflexion dans un commentaire sur mon récent top 3 des mangas actuels. Plutôt que de répondre à la suite de son commentaire, je me suis dit que faire un petit bilan serait plus constructif. Merci donc à lui pour avoir involontairement lancé cette initiative et si vous voulez lire son opinion rendez-vous dans les commentaires du post pré-cité.
Il y a donc deux jours, je présentais Ikigami comme le premier titre de mon top 3 manga du moment. Je ne renie pas du tout ce choix, chaque tome d'Ikigami me passionne et les histoires de tous ces condamnés au nom d'une loi injuste et absurde me touchent beaucoup. Mais voilà que David vient me donner son point de vue, et que je me retrouve à être en partie d'accord avec lui, alors qu'il n'apprécie pas le titre… Comme j'aime bien les divergences d'opinions quand elles sont respectueuses et intelligemment menées, j'étais ravie qu'il vienne bousculer un peu l'idée que j'ai de ce manga. Je vais donc tacher de reprendre par point les différents thèmes abordés dans Ikigami, qui départagent ou font l'unanimité.
1) Le concept de la loi
Comme je le disais en introduction, je pense que l'on ne peut trouver le concept de la "loi pour la prospérité de la nation" qu'absurde et cruelle. Le pitch de Ikigami parait même limite abusif quand on le lit pour la première fois. Mais c'est cet extrémisme qui va justement passionner et diviser. Sous prétexte d'inculquer le prix de la vie, la nation tue de parfaits innocents, des jeunes de surcroit.
Procédé évidemment scandaleux et révoltant. C'est là toute la force du titre à mon avis. L'auteur se sert de cet élément pour ensuite créer une empathie très forte pour les condamnés et nous pousser ainsi à nous sentir impliqués et concernés par leur mort, au finale bien inutile. Évidemment on n'échappe pas au côté "lacrymale", mais c'est aussi ça qui remue les tripes, du moins de mon point de vue.
Là où je rejoins l'opinion de David en revanche, c'est dans le traitement de cette loi. Comme lui, j'aimerai que l'auteur s'attarde plus sur le côté politique du sujet et moins sur les 24h de la vie des condamnés. Car à force de nous faire détester cette loi, on en vient naturellement à avoir envie de la combattre et l'envie de voir arriver un héros venant tout remettre en cause se fait de plus en plus sentir.
Je ne vois pas ces "exécutions" comme des peines de mort, étant donné que ce ne sont pas des coupables qui en sont victimes et que la plupart d'entre eux meurent paisiblement chez eux, entourés de leurs proches. Je rapproche plus ces morts à une sorte de mort sur le champs de bataille, un sacrifice au nom de la partie, ceux que l'on décore à titre posthume. N'ayant plus de guerre pour faire réagir les gens sur la valeur de la vie, le gouvernement crée un procédé différent pour envoyer ses jeunes mourir pour la nation. La différence entre la mort par Ikigami et le soldat mort pour l'honneur est au final assez mince. Il est à chaque fois question de défendre sa nation et mourir pour elle.
2) Le sentiment d'impuissance d'une population
Là où cela devient plus exaspérant c'est du côté des familles des victimes. Totalement impuissants, la plupart se résignent dès l'annonce de la mort prochaine et très peu de cas pour l'instant n'ont osé monter de résistance. C'est dans ce concept que la loi est encore plus extrémiste : quiconque s'y oppose se retrouve immédiatement condamné. Les gens subissent alors et acceptent ce triste sort sous couvert d'un service rendu à la nation dont ils sont censés être fières (rappelons qu'ils touchent même une indemnité, sujet traité lors d'une des histoires du tome 6 au sujet d'une famille peu scrupuleuse et plus intéressée par le gain de cette somme que par la disparition de leur proche).
Mais pour l'instant, les cas de protestations sont très rares et ils agacent, tant on voudrait pouvoir revenir sur l'absurdité du procédé.
3) Les réactions des condamnés
La force du titre réside donc dans les réactions des condamnés. Partant du principe du "et s'il ne vous restait que 24 heures à vivre, que feriez-vous?", les jeunes réagissent chacun à leur façon, très souvent de façon extrême. Mais c'est dans cette part que le manga relève toute son humanité. Il y a autant de réactions que de profiles de condamnés et chacun utilise ses dernières 24 heures de façon très personnelle.
Dans les thèmes ayant été abordés, nous retrouvons la vengeance, le sacrifice complètement désintéressé, la prise de conscience de l'amour que l'on éprouve pour les proches que l'on a délaissé, le don de soi, la volonté de réaliser à un rêve qu'on avait remis à plus tard, le besoin d'exercer sa passion une dernière fois avec le plus de talent possible, des messages d'espoirs pour les survivants, des actes de violence et de folie…
Certains thèmes sont plus classiques que d'autres, mais ils sont tous traités de manière très profonde et sont pour moi tout l'intérêt du titre : pousser l'homme dans ses derniers retranchements afin de voir sa réelle nature.
4) L'employé de mairie "acteur mais pas coupable"
C'est pour moi le point faible de la série pour l'instant. Cela fait plusieurs tomes que j'attends une réelle prise de position de sa part, mais il n'a de cesse de douter et de se remettre en cause, passant d'un avis à un autre. Forcément à nos yeux il est pratiquement l'unique représentant de cette loi ignoble et il a en plus le rôle ingrat de devoir remettre les préavis de mort. Mais il n'en est pas pour autant insensible. C'est surtout son manque de courage vis-à-vis de ses opinions qui sont dérangeantes. D'un autre côté il est dans une position assez difficile étant donné que quiconque ose s'opposer à l'idée de la loi se retrouve condamné…
On aimerait tant trouver un héros qui se rallie à la cause de l'obscure petit groupe révolutionnaire qui se dessine très (trop ?) lentement depuis quelques tomes, que le manque de détermination de ce personnage agace un peu. Puis au final, ses doutes ne sont que prétexte à allonger la série. De ce point de vue on se demande un peu combien de temps cela va-t-il encore continuer à fonctionner sans que l'on est l'impression que l'auteur "tire sur la ficelle".
5) l'aspect feuilleton du titre
D'où l'aspect "feuilleton" du manga. Mené par l'unique fil conducteur qu'est l'employé de mairie, Ikigami propose à chacun de ses tomes deux histoires indépendantes de condamnés. On se demande un peu où l'auteur veut nous mener avec ce système narratif qui pourrait s'avérer lassant. D'un côté, à chaque fin de tome j'ai envie que les choses bougent, mais d'un autre côté je suis toujours satisfaite du traitement des histoires suivantes tant l'empathie prend le pas et provoque des sentiments forts et profonds.
6) Morale et message
Ikigami est un titre qui amène à la réflexion. Tout comme la loi vise à inculquer le prix de la vie, je pense que c'est également ce que l'auteur veut nous transmettre et que c'est pour cela qu'il insiste beaucoup plus sur l'aspect humain des condamnés que sur les orientations politiques que pourrait prendre le titre.
La critique de la société est également très bien réalisée. Connaissant le sens de l'honneur et du devoir de la société Nippone, nous voyons peut-être ce titre avec un recul trop important qui biaise notre jugement.
Je ne dis pas que mon "analyse" (quel grand mot…) de la question est la meilleure ni la plus juste. Mais c'est ce que je ressens à la lecture de ce titre et rien que pour toutes ces questions, ces réflexions et ces émotions, je le place aisément parmi les titres intelligents et sortant vraiment du lot des productions actuelles. Maintenant seul l'avenir nous dira si son orientation saura nous satisfaire, en tout cas personnellement je l'espère.
> chronique des autres tomes.
Scénario & Dessins : Motorô Mase - Editeur : Kazé Manga - Série en cours – 7 tomes.
IKIGAMI © Motoro Mase / Shogakukan Inc.
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C'est David D. de iddbd qui a déclenché cette réflexion dans un commentaire sur mon récent top 3 des mangas actuels. Plutôt que de répondre à la suite de son commentaire, je me suis dit que faire un petit bilan serait plus constructif. Merci donc à lui pour avoir involontairement lancé cette initiative et si vous voulez lire son opinion rendez-vous dans les commentaires du post pré-cité.
Il y a donc deux jours, je présentais Ikigami comme le premier titre de mon top 3 manga du moment. Je ne renie pas du tout ce choix, chaque tome d'Ikigami me passionne et les histoires de tous ces condamnés au nom d'une loi injuste et absurde me touchent beaucoup. Mais voilà que David vient me donner son point de vue, et que je me retrouve à être en partie d'accord avec lui, alors qu'il n'apprécie pas le titre… Comme j'aime bien les divergences d'opinions quand elles sont respectueuses et intelligemment menées, j'étais ravie qu'il vienne bousculer un peu l'idée que j'ai de ce manga. Je vais donc tacher de reprendre par point les différents thèmes abordés dans Ikigami, qui départagent ou font l'unanimité.
1) Le concept de la loi
Comme je le disais en introduction, je pense que l'on ne peut trouver le concept de la "loi pour la prospérité de la nation" qu'absurde et cruelle. Le pitch de Ikigami parait même limite abusif quand on le lit pour la première fois. Mais c'est cet extrémisme qui va justement passionner et diviser. Sous prétexte d'inculquer le prix de la vie, la nation tue de parfaits innocents, des jeunes de surcroit.
Procédé évidemment scandaleux et révoltant. C'est là toute la force du titre à mon avis. L'auteur se sert de cet élément pour ensuite créer une empathie très forte pour les condamnés et nous pousser ainsi à nous sentir impliqués et concernés par leur mort, au finale bien inutile. Évidemment on n'échappe pas au côté "lacrymale", mais c'est aussi ça qui remue les tripes, du moins de mon point de vue.
Là où je rejoins l'opinion de David en revanche, c'est dans le traitement de cette loi. Comme lui, j'aimerai que l'auteur s'attarde plus sur le côté politique du sujet et moins sur les 24h de la vie des condamnés. Car à force de nous faire détester cette loi, on en vient naturellement à avoir envie de la combattre et l'envie de voir arriver un héros venant tout remettre en cause se fait de plus en plus sentir.
Je ne vois pas ces "exécutions" comme des peines de mort, étant donné que ce ne sont pas des coupables qui en sont victimes et que la plupart d'entre eux meurent paisiblement chez eux, entourés de leurs proches. Je rapproche plus ces morts à une sorte de mort sur le champs de bataille, un sacrifice au nom de la partie, ceux que l'on décore à titre posthume. N'ayant plus de guerre pour faire réagir les gens sur la valeur de la vie, le gouvernement crée un procédé différent pour envoyer ses jeunes mourir pour la nation. La différence entre la mort par Ikigami et le soldat mort pour l'honneur est au final assez mince. Il est à chaque fois question de défendre sa nation et mourir pour elle.
2) Le sentiment d'impuissance d'une population
Là où cela devient plus exaspérant c'est du côté des familles des victimes. Totalement impuissants, la plupart se résignent dès l'annonce de la mort prochaine et très peu de cas pour l'instant n'ont osé monter de résistance. C'est dans ce concept que la loi est encore plus extrémiste : quiconque s'y oppose se retrouve immédiatement condamné. Les gens subissent alors et acceptent ce triste sort sous couvert d'un service rendu à la nation dont ils sont censés être fières (rappelons qu'ils touchent même une indemnité, sujet traité lors d'une des histoires du tome 6 au sujet d'une famille peu scrupuleuse et plus intéressée par le gain de cette somme que par la disparition de leur proche).
Mais pour l'instant, les cas de protestations sont très rares et ils agacent, tant on voudrait pouvoir revenir sur l'absurdité du procédé.
3) Les réactions des condamnés
La force du titre réside donc dans les réactions des condamnés. Partant du principe du "et s'il ne vous restait que 24 heures à vivre, que feriez-vous?", les jeunes réagissent chacun à leur façon, très souvent de façon extrême. Mais c'est dans cette part que le manga relève toute son humanité. Il y a autant de réactions que de profiles de condamnés et chacun utilise ses dernières 24 heures de façon très personnelle.
Dans les thèmes ayant été abordés, nous retrouvons la vengeance, le sacrifice complètement désintéressé, la prise de conscience de l'amour que l'on éprouve pour les proches que l'on a délaissé, le don de soi, la volonté de réaliser à un rêve qu'on avait remis à plus tard, le besoin d'exercer sa passion une dernière fois avec le plus de talent possible, des messages d'espoirs pour les survivants, des actes de violence et de folie…
Certains thèmes sont plus classiques que d'autres, mais ils sont tous traités de manière très profonde et sont pour moi tout l'intérêt du titre : pousser l'homme dans ses derniers retranchements afin de voir sa réelle nature.
4) L'employé de mairie "acteur mais pas coupable"
C'est pour moi le point faible de la série pour l'instant. Cela fait plusieurs tomes que j'attends une réelle prise de position de sa part, mais il n'a de cesse de douter et de se remettre en cause, passant d'un avis à un autre. Forcément à nos yeux il est pratiquement l'unique représentant de cette loi ignoble et il a en plus le rôle ingrat de devoir remettre les préavis de mort. Mais il n'en est pas pour autant insensible. C'est surtout son manque de courage vis-à-vis de ses opinions qui sont dérangeantes. D'un autre côté il est dans une position assez difficile étant donné que quiconque ose s'opposer à l'idée de la loi se retrouve condamné…
On aimerait tant trouver un héros qui se rallie à la cause de l'obscure petit groupe révolutionnaire qui se dessine très (trop ?) lentement depuis quelques tomes, que le manque de détermination de ce personnage agace un peu. Puis au final, ses doutes ne sont que prétexte à allonger la série. De ce point de vue on se demande un peu combien de temps cela va-t-il encore continuer à fonctionner sans que l'on est l'impression que l'auteur "tire sur la ficelle".
5) l'aspect feuilleton du titre
D'où l'aspect "feuilleton" du manga. Mené par l'unique fil conducteur qu'est l'employé de mairie, Ikigami propose à chacun de ses tomes deux histoires indépendantes de condamnés. On se demande un peu où l'auteur veut nous mener avec ce système narratif qui pourrait s'avérer lassant. D'un côté, à chaque fin de tome j'ai envie que les choses bougent, mais d'un autre côté je suis toujours satisfaite du traitement des histoires suivantes tant l'empathie prend le pas et provoque des sentiments forts et profonds.
6) Morale et message
Ikigami est un titre qui amène à la réflexion. Tout comme la loi vise à inculquer le prix de la vie, je pense que c'est également ce que l'auteur veut nous transmettre et que c'est pour cela qu'il insiste beaucoup plus sur l'aspect humain des condamnés que sur les orientations politiques que pourrait prendre le titre.
La critique de la société est également très bien réalisée. Connaissant le sens de l'honneur et du devoir de la société Nippone, nous voyons peut-être ce titre avec un recul trop important qui biaise notre jugement.
Je ne dis pas que mon "analyse" (quel grand mot…) de la question est la meilleure ni la plus juste. Mais c'est ce que je ressens à la lecture de ce titre et rien que pour toutes ces questions, ces réflexions et ces émotions, je le place aisément parmi les titres intelligents et sortant vraiment du lot des productions actuelles. Maintenant seul l'avenir nous dira si son orientation saura nous satisfaire, en tout cas personnellement je l'espère.
> chronique des autres tomes.
Scénario & Dessins : Motorô Mase - Editeur : Kazé Manga - Série en cours – 7 tomes.
IKIGAMI © Motoro Mase / Shogakukan Inc.
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