Polina - Bastien Vivès

Propulsé comme valeur montante de la bande dessinée hexagonale avec Le goût du chlore, Bastien Vivès est insolent de talent. Dans Polina, il pousse l’épurement au maximum et nous livre un petit chef d’œuvre.

L’histoire de Polina, toute jeune danseuse, démarre d’une façon des plus abruptes, avec son audition d’entrée dans une académie de danse. Elle n’a pas dix ans, les mots sont durs : « Si vous n’êtes pas souple à six ans, vous le serez encore moins à seize ans. La souplesse et la grâce ne s’apprennent pas. C’est un don. Suivante… » On le sait, dans ces milieux, l’excellence se décèle dès le plus jeune âge, suivant un déterminisme contestable.

L’homme qui la juge en impose. Professeur Bojinski. Peu disert, il voit quelque chose en elle. Sa vie, sa carrière, atypiques, se construiront dans l’ombre de cet homme, démiurge lointain et père de substitution. Passant d’une troupe de danse contemporaine expérimentale, sous la houlette de LA référence Mikhail, à une formation plus modeste mélangeant musique et danse, Polina reviendra à son guide, toujours.

Le récit est passionnant, on suit avec plaisir ces moments de vie. Polina grandit, progresse, se cherche. A la manière d’instantanés, Bastien Vivès dresse son histoire par bribes. L’imagination du lecteur comble les vides. Cette chronique de vie, limpide, laisse l’étrange impression d’avoir été écrite sur un coin de table ; et c’est souvent le signe d’un long travail.

Le dessin suit la même trajectoire. Le trait est aérien, vif. Rarement les mouvements auront été si bien rendus, les scènes dansées sont d’une grande finesse, quasi hypnotiques. Ca ma rappelé l’improvisation de Barychnikov au Kirov, dans le film Soleil de nuit, sur une chanson de Vyssotski. Des gestes simples en apparence, mais une énergie et une expressivité incroyables.

Polina est un récit magnifique. La complexité des rapports maître-élève, parce que c’est de cela qu’il s’agit, rappelle La confusion des sentiments de Stefan Zweig. Je ne sais pas dans quelle mesure il s’inspire de la vie de Polina Semionova, mais il est sûr qu’influencer un tel album vaut bien une médaille de concours international. Bastien Vivès s’exprime tout en toucher, tout en finesse. Vous voulez de la grâce, lisez Vivès et oubliez Black Swan. Sérieusement.



Scénario & Dessins : Bastien Vivès - Editeur : Casterman - Collection KSTR - Récit complet.






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